Départ de Coín à 8h30, on est au cœur de la Valle du Guadalhorce, à 30min de Málaga, une zone très fertile arrosée par le fleuve éponyme.
Aujourd’hui on rencontre la coopérative sœur de Tierra y Libertad : Guadalhorce ecológico. C’est d’ici dont sont issus l’essentiel des agrumes que nous recevons à Grenoble chaque semaine.
Reyes, la gérante de la coopérative nous a concocté un programme au pas de course : 4 visites de fermes et rencontre avec 5 producteur·ices... un dernier jour en fanfare !
L’entrepôt est situé à Villafranco de Guadalhorce, un village créé de toutes pièces, comme plein d’autres, par le Caudillo (*Franco) dans les années 60 avec pour qui s’y installerait : une maison et une parcelle agricole gratuite !
Cela explique en partie que dans cette vallée ce sont essentiellement des minifundios, de petites fermes familiales, à l’inverse de la zone où l’on était la veille autour de Córdoba peuplée de latifundios, grands propriétaires terriens.
oscar, valle du guadalhorce agriculteur de la coopérative guadalhorce
On débute notre journée avec la visite de la ferme d’Oscar, ovni dans le monde agricole. C’est un homme de la vallée, il a travaillé plus de 15 ans comme mécanicien dans un garage automobile, puis a tenu un commerce de produits animaliers plusieurs années à Coín avant de devenir agriculteur.
Un autodidacte, sans crainte de se lancer dans des nouvelles activités y compris s’il n’y connaît rien ou presque.
Et ce qu’il cultive le distingue aussi des autres. Lorsqu’il a reprit la ferme il y a 3/4 ans, les terres et citronniers avaient été laissées à l’abandon depuis 40 ans. Le sol était complètement sec.
Il a courageusement tout repris de zéro, planté une parcelle d’avocatiers sur une zone pentue la plus humide, donnant sur une petite rivière en contrebas.
Et sur la parcelle haute, il a planté des Maracuyas, autrement dit des fruits de la passion ! Ce sont des petits arbres très fins et hauts d’environ 2 mètres, qui font de magnifiques fleurs de passiflore qui se transforment en fruits ronds verts foncés.
Ces arbres donnent tout pendant 3/4 ans et il faut ensuite les arracher et en replanter.
Cette culture sud-américaine ne se fait pas dans le coin, donc il a tout appris par lui-même, ce type est impressionnant !
Il cherche des solutions à tout. Quand il se rend compte qu’il a un volume important de fruits non commercialisables ou trop petits, il trouve une manière de les utiliser en les vendant à un brasseur anglais installé dans la vallée pour en faire de la bière.
Il pense aussi à faire des infusions avec les feuilles réputées pour leurs effets apaisants, pour le sommeil…
On repart malheureusement sans avoir pu déguster ses fruits (ni la bière…) dont la récolte se fera plutôt à partir de décembre.
reyes, valle du guadalhorce gérante de la coopérative guadalhorce
On se rend ensuite à la Nave, le petit entrepôt où la coopérative à son bureau, sa réserve, sa chambre froide et son espace de préparation de commande.
Reyes nous explique tout. Agronome de formation, fière d’arborer un t-shirt Tierra y Libertad noir, elle est super impliquée dans la coopérative, connaît sur le bout des doigts les producteur·ices et leurs spécificités, ainsi que les fruits qu’elle vend. Comme Martina, elle défend à 1000% ce modèle qui rémunère au mieux les producteur·ices et l’entraide que propose la coopérative.
C’est assez petit comme espace, une machine pour nettoyer les fruits, une machine pour calibrer les fruits, un plan de travail avec deux balances pour remplir les caisses, et hop sur palette !
Les producteur·ices livrent leurs fruits ici, mais en cas de besoin un·e salarié·e peut aller récupérer des caisses aux champs.
Une fois conditionnée, la palette est récupérée directement ici par un poids lourd direction Perpignan !
C’est chouette de voir où sont préparées nos caisses et nos palettes de fruits chaque semaine. Par quelles mains, par quelles personnes, avec quels sourires et dans quelles conditions.
roció, valle du guadalhorce agricultrice de la coopérative guadalhorce
On poursuit la tournée avec la ferme de Roció. Brut de femme, une boule d’énergie (on fait le pari que Léa accrocherait beaucoup avec elle). Sa voie est forte et assurée.
Fille d’agriculteurs, elle reprend peu à peu à la ferme de ses parents. Sa maison est calée au milieu des champs dans un fond de vallon. Elle a récolté 2000kg d’avocats l’année dernière, ce sera presque moitié moins cette année.
Infirmière de formation, elle a tout arrêté pour être apicultrice avec sa sœur.
Puis à nouveau tout arrêté pour les champs d’avocatiers et quelques manguiers.
Boum. Elle sait ce qu’elle veut, où elle va et ce qu’elle fait. Va droit au but.
Elle s’est forgée dans le machisme ambiant du milieu agricole. On apprendra qu’elles étaient surnommées les niñas (les filles, les gamines) quand elles étaient apicultrices. Merci...
Vue l’humidité et la verdure, on peine à s’imaginer la terrible sécheresse qu’elle aussi subit ici durant l’été. Le thème de l’eau est au cœur des préoccupations de toustes les paysan·nes ici ! Chacun·e tente par différents moyens de conserver l’eau.
Aussi son premier investissement : acheter deux réservoirs d’eau pour récupérer l’eau de pluie et pouvoir arroser un peu l’été. L’espace est libéré, elle attend l’arrivée de ces deux immenses poches à eau de 20000 litres chacune.
Elle tente, expérimente. Les avocats jaunissent là-haut, pues, no pasa nada, vamos a plantar mangos. A ver si funciona*. (Eh bien, pas de soucis, plantons des mangues. On verra bien si cela fonctionne.)
On file ensuite visiter la parcelle enchantée de Manolo et Cristobal, respectivement trésorier et président de la coopérative.
manolo et cristobal agriculteurs de la coopérative guadalhorce
Manolo c’est la mémoire de la coopérative, il en est l’un des cofondateurs. En plus de ses champs, il effectue des missions de taille des arbres pour d’autres paysans, donne des cours et s’engage pleinement dans la coopérative. Un engagement politique hyper inspirant. Il aimerait pouvoir se dédier à 100% à ses champs en ayant une parcelle supplémentaire pour mieux en vivre. Pour le moment ils ont 6000m2 sur plusieurs terrains.
Cristobal travaille aussi à côté comme ingénieur agronome.
Leur verger est une oasis avec de nombreux arbres fruitiers mélangés les uns au autres : noix de pécan, coings, grenades, figues, oranges, kakis, clémentines, nèfles…
Ils font aussi pas mal de produits transformés : figues séchées, graines de grenade séchés, pâte de coing…
C’est le terrain du grand-père de Cristobal. A l’époque il faisait vivre une famille ! Ils exportaient déjà beaucoup, notamment en Angleterre et dans le reste de l’Espagne. Son père a repris, puis lui il y a 15 ans. C’était une des premières terres bios.
Il vient de pleuvoir en deux jours le tiers de ce qu’il pleut chaque année, quand il pleut il pleut ! Résultat, tout est verdoyant, dense, humide, calme.
De l’autre côté de la piste qui délimite leur parcelle, c’est ahurissant de voir la différence de sol chez le voisin. Aucune herbe. Le sol n’absorbe rien. La boue reste en surface, on voit encore les traces sinueuse de l’eau…
Deux styles, deux ambiances.
À chaque fois on ressent le calme dépit de nos ami·es face à cette implacable absurdité.
Après le déjeuner et le café, la route nous mène vers notre ultime visite. Paco Bedoya, le doyen. 77 ans. 4 hectares. 140 000kg de fruits. Celui qui fournit l’essentiel des agrumes à nos client·es grenoblois·es, surtout les citrons.
paco bedoya agriculteur guadalhorce
On est atterré devant ce monsieur qui pourrait être notre grand-père, qui passe encore ses journées dans ses champs, son sécateur et sa scie autour de la taille.
Les clémentines « Clemenules » viennent d’ici, appelées ainsi car originalement cultivées dans un village près de Valence, Nules ! Il a aussi des Clemenvilla, des oranges Dulce, des New hall, des Navelina, des Navelate, des citrons Fino, des citrons Verna…
Il y a quelques jours, son champ situé à quelques encablures du fleuve Guadalhorce a été inondé. Plus d’un mètre de haut alors que les arbres étaient chargés de citrons. Plein de branches et certains arbres arrachés, il a fallu récolter vite pour ne pas perdre des kilos de citrons. Et donc les vendre.
Sans la coopérative, le jeu est simple, déséquilibré et brutal. Les grands distributeurs se présentent aux agriculteur·ices en détresse qui doivent écouler rapidement leur marchandise et leur donnent un prix ridiculement bas. Et voilà. À prendre ou à laisser.
Paco parvient quasiment à tout vendre à la coopérative depuis de nombreuses années et donc à vivre correctement de son travail qui le passionne. Ses deux filles reprennent peu à peu la ferme, l’avenir semble assuré.
On parcourt sa parcelle très boueuse. Une chance pour le sol, il avait prévu d’amender avec des fertilisant naturels et il ne le fera pas. L’eau a ramené plein de bonnes choses pour nourrir les arbres. Une dépense importante en moins !
Voilà, on laisse Paco. Fin d’aprem. Soleil couchant sur la route vers Málaga.
On dit au revoir à toutes ces personnes engagées, ces agriculteur·ices attaché·es à faire leur travail au mieux, à faire vivre de l’intérieur leur coopérative, ces militant·es du quotidien pour un modèle d’alimentation respectueux du vivant, des sols, des humains.
Quelle chance d’avoir pu vivre ces trois jours en Andalousie et quelle motivation à continuer de vendre leurs succulents fruits !
Visite producteur·ices, le 18/11/2024
Matthias et Solène
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